Le droit d’alerte en matière de santé publique et d’environnement : quelles conséquences pour les entreprises ?

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12/06/2013 - Sébastien MILLET
En réponse à l’accumulation de scandales récents impactant la santé publique (affaires du Médiator, des prothèses PIP, etc.), une loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 (J.O. du 17 avril) prévoit la possibilité pour toute personne de déclencher des alertes en matière de santé publique et d’environnement. Les entreprises sont en première ligne et doivent intégrer cette nouvelle dimension en termes de gestion des risques.
  1. En quoi consiste cette alerte ?

Ce texte s’inscrit dans le cadre du devoir de toute personne de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement, principe essentiel du droit de l’environnement à valeur constitutionnelle. Il s’agit toutefois d’un droit (non d’une obligation) : « Toute personne physique ou morale a le droit de rendre publique ou de diffuser de bonne foi une information concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît faire peser un risque grave sur la santé publique ou sur l’environnement. L’information qu’elle rend publique ou diffuse doit s’abstenir de toute imputation diffamatoire ou injurieuse. »

Son périmètre est très clairement cantonné aux problématiques relevant du champ du Code de la santé publique et du Code de l’environnement. Précisons qu’il s’agit là d’un nouvel outil à vocation préventive mais aucunement d’un nouveau mécanisme de réparation (voir pour cela la proposition de loi déposée au Sénat le 16 mai 2013 et visant à inscrire la notion de dommage causé à l’environnement dans le code civil).

Les alertes peuvent être traitées au niveau national, via la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement (CNDASPE), nouvelle instance chargée de veiller aux règles déontologiques s’appliquant à l’expertise scientifique et technique et aux procédures d’enregistrement des alertes en matière de santé publique et d’environnement.

Nous n’aborderons pas ici ce volet pour nous concentrer sur le traitement des alertes en entreprise (cf. C. Trav., L4133-1 et suivants). Précisément, sont concernés les employeurs de droit privé, mais également en toute logique, par analogie avec le champ d’application du Livre IV du Code du travail, les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC), les établissements publics administratifs (EPA) lorsqu'ils emploient du personnel dans les conditions du droit privé ainsi que les établissements de santé, sociaux et médico-sociaux mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière. Aucun seuil d’effectif n’est prévu, et l’alerte n’est pas réservée à certains secteurs d’activité en particulier.
 
Tout travailleur (entendu comme un salarié, stagiaire et plus généralement toute personne placée à quelque titre que ce soit sous l'autorité de l'employeur) est titulaire du droit d’alerte, sur le papier. Egalement, lorsqu’il existe un CHSCT dans l’établissement, l’un de ses membres (ou un délégué du personnel à défaut) peut également devenir lanceur d’alerte lorsqu’il est amené à constater l’existence d’un risque grave. Relevons qu’a contrario, ni le comité d’entreprise ou d’établissement, ni les organisations syndicales -même représentatives- ne sont habilitées à déclencher une alerte d’entreprise.

Autre signe de limitation du champ des alertes internes, trois conditions cumulatives sont requises :

  1. Objet : le risque doit impacter la santé publique et/ou l’environnement ;
  2. Gravité : le risque soit être grave (tandis qu’en matière d’alerte « santé-sécurité », il faut un danger grave et imminent) ;
  3. Causalité : le risque grave doit présenter un lien avec les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l’établissement.

 

  1. Quelles obligations pour les entreprises ?

Ces dispositions sont immédiatement applicables en entreprise et imposent de nouvelles obligations, que l’employeur doit intégrer dans ses process internes, par la mise en place d’une organisation adaptée :

  1. Organiser et dispenser une information des travailleurs :
    • D’une part, sur les risques que peuvent faire peser sur la santé publique ou l’environnement les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l’établissement ;
    • D’autre part, sur les mesures prises pour y remédier.

  2. Traiter les alertes, comme en matière de droit d’alerte et de retrait motivé par des considérations de sécurité au travail :
    • L’employeur ne peut se faire juge a priori du bien-fondé de l’alerte et doit la consigner par écrit (selon des modalités à définir dans un futur décret).
    • Obligation d’examen conjoint de la situation en cas d’alerte d’un membre du CHSCT.

  3. Intégrer les nouvelles prérogatives du CHSCT, qui est obligatoirement :
    • Destinataire des informations concernant les alertes et leur issue ;
    • Réuni en cas d’événement grave lié à l’activité de l’établissement ayant porté atteinte ou ayant pu porter atteinte à la santé publique ou à l’environnement ;
    • Informé en cas de saisine du Préfet de département.

Cette possibilité de saisine est effectivement prévue pour le lanceur d’alerte en l’absence de suite donnée par l’employeur dans un délai de 1 mois, ou de divergence d’analyse sur le bien-fondé de l’alerte. Dans ce cadre, les pouvoirs du Préfet ne sont pas définis, mais on imagine que le risque d’ingérence de l’Administration dans l’activité de l’entreprise devrait dissuader l’employeur de se désintéresser de la situation.

Plus généralement, il revient à l’employeur, de décider des suites qu’il entend donner à ces alertes et des éventuelles mesures à prendre. Il est clair qu’avec la traçabilité des alertes, le chef d’entreprise (ou son délégataire de pouvoirs) devra être en mesure de justifier des diligences mises en œuvres et de l’adéquation des mesures prises en cas de poursuites pénales et/ou civiles. 

A cet égard, en cas d’engagement de sa responsabilité du fait de produits défectueux, l’entreprise qui n’a pas respecté ces obligations se verra privée du bénéfice du risque de développement (c’est-à-dire de la possibilité de s’exonérer en invoquant l’état des connaissances scientifiques et techniques disponibles au moment de la mise en circulation du produit), ce dont on mesure aisément les conséquences financières potentielles…

Gageons qu’en pratique, ce droit d’alerte devrait rester exceptionnel, et la crise économique contribue à le rendre quelque peu virtuel, de même que le risque de voir sa propre responsabilité engagée. La « ligne rouge » est ici cette de l’action de mauvaise foi, dont l’appréciation souveraine par les tribunaux se dénouera toujours au contentieux, avec tout l’aléa que cela peut comporter :

  • Le lanceur d’alerte de bonne foi bénéficie d’une protection contre toute mesure discriminatoire directe ou indirecte pour avoir relaté ou témoigné à son employeur ou aux autorités judiciaires ou administratives de faits relatifs à un risque grave pour la santé publique ou l’environnement dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions (cf. CSP, art. L1351-1 nouveau) ;
  • Exit en revanche la possibilité de lancer une alerte à des fins de déstabilisation ou pour négocier un départ… le fait pour toute personne physique ou morale de lancer une alerte de mauvaise foi ou avec l’intention de nuire, ou avec la connaissance au moins partielle de l’inexactitude des faits rendus publics ou diffusés, est pénalement répréhensible, au même titre que le délit de dénonciation calomnieuse (les peines maximales étant de 5 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende).  

 
En résumé, ce nouveau droit d’alerte apparaît comme une avancée certaine, d’autant qu’il contribue à mieux imbriquer travail, santé publique et environnement. Il comporte également une dimension positive pour les entreprises, en lien avec la dynamique de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Enfin il mérite d’être perçu comme un outil non pas de délation, mais d’aide à la décision, particulièrement utile pour l’exploitant, notamment en cas de menace imminente de dommage environnemental par exemple. Ne pas intégrer cette nouvelle donne, c’est risquer de la subir.